Ma démarche artistique prend sa source dans la fascination qu’exerce, depuis l’enfance, la couleur sur mon esprit. La perception de la couleur, d’une façon passive et totalement disponible suscite une sensibilité intuitive que j’ai observée, par exemple, à l’époque, chez nombre d’artistes du romantisme anglais, de l’expressionnisme allemand ou encore de l’impressionnisme et du cubisme, par exemple, puisqu’il est utile ici d’évoquer certaines références. Voilà sans doute pourquoi, dès le départ, j’ai privilégié le travail intuitif et méditatif sur la couleur lors de mes études en Arts jusqu’à aujourd’hui. (Sans doute, également, qu’une myopie précoce m’aura permis d’apprendre à distinguer les volumes et les formes par la simple perception de la lumière d’abord et ensuite par l’articulation conséquente de la couleur dans l’élaboration physique de l’environnement.)
J’insiste particulièrement sur le point suivant parce qu’il constitue la base de toute ma démarche : travail méditatif parce qu’il faut « arrêter » l’esprit pour le rendre le plus disponible possible au travail de l’intuition qui consiste à « voir ». Le travail subséquent consiste à rendre le plus précisément possible ce qui a été « vu ». Ce peut être une atmosphère, une forme, un mouvement et à d’autres niveaux le rendu d’une forme d’écriture, d’une structure intelligible bien que complexe, d’un discours autre qui échappe, de par sa nature, au « connu ».
Il est évident qu’un discours sur une démarche artistique reposant sur des postulats d’une telle abstraction peut être difficile, mais le fait est que l’œuvre ne sera jamais ce qui a été vu (
tout comme le mot, dans ce texte, ne constitue pas la chose), ce qui a été perçu, ce qui a été senti par l’artiste, mais constituera, idéalement un travail progressif qui n’atteindra jamais son but : une transcription parfaite, arrêtée, pérenne, qui, faut-il le répéter,
ne sera jamais le vu ,le transcrit. Ma démarche ne peut alors se concevoir que dans le mouvement, la recherche perceptive, la mobilité du sens et la conséquente (
l’inévitable) ouverture sur l’inconnu.
Cette direction de travail trouve des échos visuels et une inspiration certaine dans ce qu’offrent à voir les images générées par les télescopes orbitaux et les microscopes électroniques. Ces dispositifs nous donnent des images de l’inconnu et répondent remarquablement à la soif perceptive humaine, tout en la déstabilisant, en la relativisant dans l’espace que l’humain croit occuper dans l’Univers.
Le « donné à voir » de mes travaux cherche à inviter, à intimer le spectateur à aller au-delà d’une perspective arrêtée qu’on tente toujours naturellement, en tant qu’auteur, artiste, à lui imposer. Je cherche à offrir un champ de perception certes structuré (en apparence) mais offrant la possibilité d’y voir plus, d’y sentir plus, d’imaginer plus que ce qui est offert. Je cherche, en définitive, à déstabiliser l’œil du spectateur de manière à ce qu’il doive réaliser un travail personnel devant ce qui lui est donné à voir. Plus simplement, je veux que le spectateur investisse du temps devant une œuvre et que de ce fait, passivement, fasse l’expérience de la perception sans investissement de son intellect qui le retient au monde du connu sans lui donner de réelle liberté. Le but de ma démarche est d’offrir, par la perception, une occasion de liberté et de perceptivité, sans effort, sans direction et sans balises.
Des éléments simples, tels que les formes géométriques, les formes organiques, la couleur, la lumière, les volumes, les profondeurs, peuvent, par leur jeu, leur influence, leurs combinaisons, constituer une syntaxe perceptive lisible, intelligible et utilisable par n’importe qui capable de perception visuelle. Il n’y a là rien qui sollicite un regard « éduqué ». Il n’est pas question d’éduquer et de diriger le regard, il est question de susciter sa liberté et sa disponibilité.
Il m’est évident que dans un monde tel que le nôtre, empreint de conflits et de crises, de désordres écologiques et de dysfonction profonde de la relation de l’homme à son environnement, il y a un travail individuel à faire qui consiste principalement à développer la disponibilité du regard délesté du filtre que constituent les institutions, le politique, le religieux, le culturel, le formatage. Et si je devais justifier d’un engagement personnel dans la marche et dans l’avenir de ce monde et de ses sociétés, je dirais que j’essaie de travailler à susciter le développement d’une capacité humaine à
voir, librement, en marge de n’importe quel conditionnement, culturel, politique. Bien sûr il s’agit-là d’un travail qui demande beaucoup d’attention et de vigilance. Ma démarche, entreprise depuis une trentaine d’années, cherche à aider l’avènement individuel d’une prise de conscience de la liberté requise pour
voir, d’une façon honnête, libre et personnelle la réalité, quelle qu’elle soit. Convier le spectateur à une observation passive et libre contribue certainement, à mon sens, à développer chez l’humain une plus grande conscience, une plus grande disponibilité perceptive et partant, une meilleure aptitude à vivre
calmement dans la recherche d’une plus grande vérité.
On pourrait aussi préciser comme suit l’intention de cette longue démarche qui n’aura sans doute pas de conclusion : Il s’agit de donner une facture picturale à l’étrange équilibre de l’intuition qu’il semble exister entre le connu et l’inconnu, l’immense et le minuscule, le concevable et l’inconcevable. Toute la spécificité du travail est là : donner le plus possible à voir la plus grande abstraction possible, la plus libre, pour que s’ouvre alors chez le spectateur le terrain de jeu de sa propre sensibilité, non soumise, le rêvons-nous, aux diktats d’une culture qui n’est pas, on le sent bien, aussi libre qu’elle le prétend ou qu’elle pourrait l’être si elle n’était sans cesse récupérée et ensuite formatée. Il paraît indéniable que l’art et la culture ne trouvent désormais de viabilité que dans une vaste entreprise de
digest lucratif qui pervertit la fin de l’art sur le sable de l’arène où la compétition sauvage emporte souvent les plus sensibles.
Pastel huile 100cmX100cm 1985
Pastel huile, 85cm X 71cm 1992
Les deux œuvres reproduites ci-haut illustrent l’un des fondements de la démarche picturale entreprise dans les années 1980. La génération de l’image se fait ici par gestuelle répétitive d’un trait modulé et par l’utilisation intuitive de la couleur, créant une multiplicité de parcours visuels, de jeux de volumes et de profondeur suscitant chez le spectateur un regard passif et disponible. Ces travaux sont réalisés au pastel à l’huile (qui malheureusement atteint assez rapidement un seuil de saturation qu’il faut augmenter par l’application de couches de polymère sur lesquelles on peut ensuite réappliquer le pastel à l’huile).
Sculpture picturale 200cmX150cm Pastel à l’huile sur papier kraft de fort calibre (exposé à même le sol) 1984
Cette
sculpture picturale dont les volumes sont à la fois physiques et dessinés renvoie également à la préoccupation fondamentale d’inciter le regard à une perception passive forçant, par là même, une plus grande disponibilité sensorielle et intellectuelle. Il s’agit ici de mettre en échec toute référence au monde du
connu et d’inciter le spectateur à exploiter librement et inévitablement ses capacités de perception personnelles et exclusives.
Densité 2.1 medium mixte sur Canson de fort calibre 2006
Le travail ci-haut, (
Densité 2.1), réalisé pour un groupe de musique de rock progressif underground québécois, est un exercice de synesthésie réalisé à partir d’une bande sonore de ce groupe. Là encore s’impose un mouvement pulsatif du regard qui plonge au centre du tableau dans les profondeurs sombres générées par les basses fréquences et attiré ensuite par les zones foncées, en creux qui gravitent en périphérie autour desquelles gravitent également des éléments plus fins, détaillés et colorés (
correspondant à l’éventail des sonorités de fréquences plus élevées) qui déstabilisent le mouvement naturel de l’œil (ou de l’esprit?) et le renvoie vers les zones sombres et notamment, celle du centre. Le résultat de cet exercice synesthésique sur le mouvement de pulsation du regard pose la question suivante : la réceptivité sensorielle humaine répond-elle aux mêmes lois physiques que celles qui régissent l’univers que nous sommes capables de percevoir? Le regard est-il soumis à une certaine
gravité? Cela pose aussi la question suivante : convient-il de séparer l’observateur de ce qui est observé ou s’il n’est pas plus près de la réalité de considérer que l’observateur et l’observé constituent une seule et même chose et le cas échéant, comment faire
voir cela? Ces questions font partie des préoccupations que je tente d’illustrer par le biais de la peinture. Mais, encore une fois, nous devons nous rappeler sans cesse que ce que nous percevons de la réalité est nécessairement et indubitablement conditionné par la lentille utilisée pour y parvenir et là se pose la question suivante : est-il alors possible de trouver un
bypass pour parvenir à occulter les
outils de perception?
Quantic Blues acrylique sur toile 75 cm X 95 cm 2012
Le travail ci-dessus pose cette question en introduisant, dans un environnement organique, des éléments non organiques à la géométrie nette. Une fois de plus, le regard plonge au centre de la toile, dans le rectangle (
au sommet de la pyramide représentant ici la puissance relative de nos outils perceptifs) qui figure ce que nous sommes
sûrs de percevoir et par la suite, sur les faces de la pyramide ce que nous
pensons pouvoir éventuellement percevoir. Le reste, ce qui échappe à l’espace de la pyramide, figure ce qu’il y a véritablement à voir. Les pentes de la pyramide incitent le glissement du regard, par strabisme divergent vers la totalité de l’ensemble déstabilisé par les deux sphères suggérant que par la limitation de notre capacité de voir nous n’arrivons pas à observer
ce qui nous observe déjà. Mais là encore, il ne s’agit que d’un parcours du regard privilégié ici par le peintre. Il y en a d’autres, indubitablement.
Perceptio non est cogitare acrylique sur toile 100cm X 150cm 2013
La perception, je le soupçonne fort, doit échapper à l’exercice et à l’influence de la pensée qui tente sans cesse de la contenir dans l’espoir de la définir (
en s’appuyant sur des éléments de connaissance déjà accumulés dans la mémoire et de ce fait appartenant au passé qui n’a rien à voir à ce qui présente là, de suite, à l’instant à la perception), pour l’appréhender. Ce faisant, pourtant, la pensée arrête le mouvement de la perception et par là, limite la portée de cette dernière. La pensée a donc la fâcheuse habitude de conditionner la perception et de ce fait, la limite. Dans le travail ci-dessus, la pensée apparaît sous la forme d’une sphère qui occupe le centre du tableau et en constitue le seul élément statique. Il existe pourtant un lien ténu entre la pensée (
tributaire d’un ensemble autonome de connaissances) et l’espace qu’ouvre l’exercice de perception libre et passive. La sphère centrale est timidement connectée à l’environnement par la pointe d’un voile diaphane se déployant dans la totalité du tableau. L’œil y est sans cesse attiré par la sphère centrale mais l’environnement coloré, mouvant et organique exerce sur l’œil une intimation à ignorer la sphère bien que celle-ci continue pourtant à harceler le regard. Par contre, les points lumineux fondus dans l’atmosphère de la périphérie aident l’oeil à se détacher progressivement de la sphère centrale et à migrer vers la globalité de l’espace et y explorer librement les nombreux parcours.
Soul Escapes medium mixte sur Canson de fort calibre 2008
Soul Escapes, ci-haut, est une tentative d’illustration de la structure complexe et rayonnante du cerveau et partant de l’univers, pouvant être entrevue par les capacités perceptives de l’humain. Le travail, ici, montre une construction où chaque élément est fermé et isolable dans l’espace, pouvant être perçu et considéré individuellement pour ce qu’il est ou paraît être. Pourtant il fait partie d’un
réseau observable alors par le biais d’une vison globale, essentielle pour percevoir ou encore se soumettre à la
complexité.
Fallacis Fracturae acrylique sur toile 116cm X 150 cm 2013
La
fracture fallacieuse (le travail visible ci-dessus), fait référence à l’habitude humaine de séparer l’observateur de l’observé. Les deux
mondes/environnements/univers visibles sur le tableau sont séparés par une fracture relativisée par la pénétration d’un des mondes dans l’autre, tout au centre du tableau, là où le regard glisse naturellement. La structure et la facture du tableau suggère que la scission entre les deux parties du tableau ne peut nier la parenté ou la parité des deux univers et que cette fracture pourrait disparaître au profit d’une unité harmonieuse qu’un regard passif et disponible, libre d’un conditionnement intellectuel préalable pourrait percevoir.
On aura compris sans aucun doute, en définitive, que la démarche picturale du peintre, ici, cherche à mettre le medium de la peinture au service du développement d’une faculté de percevoir passivement offrant de ce fait au cerveau une plus grande sensibilité à ses facultés intuitives indispensables au développement d’une vision globale et libre, le plus possible affranchie des limitations de la pensée tributaire d’une programmation tutélaire. Il est bien évident que tout ce travail s’alourdit ici de l’élément discursif qui semble en limiter la portée, mais nous devons quand même nous incliner avec gratitude devant le
mot, à qui nous devons le privilège de communiquer.
Still Still in a Still Moment acrylique sur toile 60cm X 60cm 2011
Le travail ci-haut servira ici de conclusion à cette présentation. Il s’agit ici d’une œuvre figurative qui attire le regard sur l’œil d’un humanoïde, en position méditative, la tête penchée, au centre de la toile. L’œil ne regarde pas le spectateur, mais semble perdu dans un non-être et une-non observation qui ne sont pas une non-perception, mais un état méditatif. Tandis que de l’orbite vide du même personnage, figurant la lentille limitée à laquelle est assujettie notre vision du monde, de nous-mêmes, de notre environnement et de l’univers. Et pourtant, alentour et derrière cette orbite vide émane un environnement attirant, rayonnant et complexe que nous ne pouvons percevoir réellement et librement que dans un état où l’esprit n’est pas agité.
Cette démarche se poursuit toujours aujourd’hui à mon atelier de Colmar où j’effectue à plein temps des travaux de recherche et d’exécution.
12e Salon de Peinture et de Sculpture de St-Amarin, 19 et 20 novembre 2016
27e Salon de Peinture, Illfurth, Haut-Rhin, 12 et 13 novembre 2016
34e Art'Expo, Wittenheim, Haut-Rhin, 17,18 et 19 octobre 2016
Art'Bouans, Arbouans, Doubs, 8 et 9 octobre 2016
Rencontre Des Arts, Horbourg-Wihr, Haut-Rhin, 21 et 22 mai 2016
Hôpital Albert-Schweitzer, Colmar, janvier à mars 2016
Festival Fantastic'Art, Gérardmer, France. janvier 2010
Paris, France, février 2010
Châteauneuf du Pape, France, du 2 avril au 9 mai 2010
La Rue des Arts, Barr, Bas-Rhin, France, juin, juillet, août 2010
Performance peinture et musique, Galerie Célestin, Rochesson, Vosges, France, août 2010
Atelier/animation de peinture, La Baroche, Haut-Rhin, France, août 2010
Festival International du cinéma fantastique de Gérardmer, France.
Paris, France, juillet 2009
Paris, France, décembre 2009
Salon des Artistes Lorrains, Nancy, France, novembre 2009